Pierre Joubert, une constante vitalité :
Signe de Piste, une Collection de Roman Jeunesse d’Aventure
Évoquer la démarche artistique de Pierre Joubert est un exercice difficile, et on serait tenté de chercher dans son autobiographie, « Souvenirs en vrac », des embryons de réponses. Or jamais, dans mon souvenir, ne sont évoquées ses influences, ses choix techniques, ses résolutions graphiques ou même ses doutes. Comme si Pierre Joubert ne s’était jamais interrogé sur sa pratique, et ne se définissait plutôt que comme un honnête artisan, surpris par l’enthousiasme et le trouble que pouvaient susciter ses créations.
Quand j’ai rencontré Pierre Joubert la première fois, il y a tout juste vingt ans, j’étais un jeune dessinateur qui venait lui demander, en quelque sorte : «Maître quel est votre secret ? » Et, je l’avoue, au début, je fus assez déçu qu’il soit si peu disert sur sa pratique. Autant pouvions-nous parler des heures sur l’Histoire dont il était féru, se passionner sur la politique et bien sûr évoquer son parcours si dense, autant, quand j’abordais sa démarche artistique, il répondait par un haussement d’épaules, comme s’il n’y avait rien à en dire.
Un jour pourtant, face à l’un de mes dessins, il ressentit une maladresse graphique sans pouvoir l’exprimer par des mots.; « Ah ! je n’aurais jamais fait un bon pédagogue ! » pesta-t-il. Il prit alors son crayon et, avec énergie, corrigea mon dessin. Comme épuisé par un effort intense, il lâcha son crayon et me dit : «Voilà, c’est ça ! » Et c’était ça !. Joubert pensait par le dessin ! J’ai compris ce jour-là que c’était en lui soumettant mon propre travail que j’allais peut-être soulever le voile. La lecture que je fais donc de l’approche graphique de Pierre Joubert est infiniment subjective. Elle est en résonance avec ma propre démarche.
Pierre Joubert n’aimait guère, pourtant, la bande dessinée. Il nourrissait pour elle une certaine méfiance quand à « l’influence néfaste » qu‘elle pouvait avoir sur la lecture de « vrais livres » par les enfants. Car pour lui, l’illustration comme la bande dessinée devait servir, avant tout, à l’édification des plus jeunes. De plus, il ne comprenait pas la narration par une succession d’images propre à ma pratique. Il réagissait en illustrateur : une image devait raconter à elle seule une histoire.
L’illustration lui permettait aussi d’explorer de multiples techniques (gouache essentiellement pour les dessins en couleurs ; mais aussi, à ses débuts, une approche plus aquarellée. L’aquarelle proprement dite, il l’utilisa surtout sur ses illustrations des poèmes de Rimbaud) et il ne s’en est pas privé. Il ne comprenait pas du tout des artistes immenses comme Hergé qui, pour lui, avaient toujours creusé le même sillon. Cette incompréhension était nourrie par le constat que la bande dessinée regorgeait de dessinateurs qui l’interpellaient. Combien de fois n’a-t-il pas regretté que je ne fasse pas de l’illustration pleine page plutôt que ces « vignettes toutes petites serrées les unes contre les autres !
Joubert a, à ses débuts, été très influencé par le dessin Art Déco alors en vogue dans les affiches et la publicité de l’entre-deux-guerres. Mais, très vite, ce trait fragile, très ‘’ligne claire », allait faire place à un dessin plus affirmé. Joubert gagnait en confiance sans perdre l’essence même de sa sensibilité.
Je me suis toujours demandé comment, avec un trait parfois très lourd, des hachures agressives, expression d’une grande assurance, il réussissait à garder la grâce et la sensualité de ses silhouettes. Je pourrais évoquer parmi ses influences Norman Rockwell, bien sûr, le peintre de l’American Way of Life, Pyle et Wyeth, les illustrateurs de l’aventure (Wyeth a d’ailleurs illustré l’Île au Trésor, lui aussi, au début du vingtième siècle), Mucha, Carl Larsson, l’illustrateur suédois, Frazetta, qui le fascinait — à ma grande surprise, d’ailleurs — et que l’on retrouve parfois dans ses illustrations de science-fiction. Autant d’illustrateurs dont on apercevait les livres sur les étagères au-dessus de son bureau.
première partie de la préface d’Emmanuel LEPAGE, extraite de l’Intégrale SIGNE DE PISTE Tome 3 – 1962-1970