Le Tigre et sa panthère

Roman Jeunesse – Collection Signe de Piste


Guy de LARIGAUDIE

Parutions :

Ed. ALSATIA – 1937 – Coll. SIGNE DE PISTE – n°3
(première édition)
Coll. NOUVEAU SIGNE DE PISTE n°88
Ed. DELAHAYE – 2005 – Coll. Cabestan – n°2
Ed. DELAHAYE – 2012 – Coll. SIGNE DE PISTE – n°21


Résumé

En Asie et en Europe, voici bien la plus extraordinaire aventure qu’un garçon, après Kim et Mowgli, ait jamais vécue : jeté à la côte par la tempête, il se retrouve seul en pleine jungle, à des centaines de kilomètres du village le plus proche, dans une région perdue des Indes.
Alors qu’il est condamné à une mort certaine, il sauve une panthère qui ne le quitte plus et qui, dans l’ombre de la jungle, veille sur lui…Et c’est le début d’une amitié qui dépasse ce que l’on aurait pu imaginer de plus extraordinaire…
Le Tigre et sa panthère est suivi de La Frégate aventurière, qui est la relation d’un grand jeu plein de vie et de truculence. Deux aventures scoutes qui sont devenues des classiques… qui ne sont pas réservées aux seuls scouts, mais à tous ceux qui sont épris d’aventure et d’amitié.


Fiche de Lecture

Etrange chrétien que ce Guy de Larigaudie! A travers un conte qui semble bien païen à première vue, il donne à voir les reflets d’une théologie plus orthodoxe qu’il n’y paraît ; ou plutôt il donne à voir les reflets qu’il lui plaît de montrer.

Comme nombre d’autres grands auteurs chrétiens (Mauriac), Larigaudie sait que la narration spécifiquement chrétienne n’est pas tant celle qui met en scène les bonnes intentions ou les actions héroïques que celle qui peint le péché et d’une manière générale les effets de la chute. Nous ne lisons pas, dans « Le Tigre et sa panthère » de ces récits de BA, les Bonnes Actions qui fleurissaient à l’époque — mais nous n’y lisons pas non plus l’histoire de Mouchette: Larigaudie préfère nous montrer ce que pouvait être l’homme avant la Chute.

Le Tigre (c’est son totem) est un jeune français expatrié en Inde, qui se retrouve, à la suite d’un naufrage, seul dans la jungle. Il sauve une panthère noire d’une mort certaine ; l’animal lui devient indéfectiblement fidèle. C’est le prétexte d’une série de tableaux dont Fleur-des-Sables est le héros (c’est le nom de la bête), dont la narration n’est pas sans rappeler la vie de Saint Benoît par Saint Grégoire et d’autres analogues : pas de psychologie, pas de chronologie, juste une succession d’anecdotes destinées à édifier, à attester de la sainteté du personnage, émaillées occasionnellement de maximes morales.

Larigaudie, en racontant l’invraisemblable lien entre un adolescent français et une panthère indienne, ne se comporte pas en hagiographe. Il veut seulement contempler et faire contempler un état de l’humanité qui ne se trouve plus dans la nature, celui d’Adam avant la Chute, celui de Saint François prêchant aux oiseaux ou parlant au loup de Gubbio. Contempler, car il n’y a rien à prouver, ni quiconque à exhorter : il s’agit juste d’une rêverie écrite pour voyager par la pensée dans un âge d’or où tout était beau, ordonné, harmonieux, et où la bête la plus féroce de l’Inde s’allongeait aux pieds d’un adolescent blond pour ronronner comme un lionceau ET dans le même temps restait une bête féroce.
Vous l’avez compris, Guy de Larigaudie décrit tout simplement le monde de Pierre Joubert. Ou plutôt dans ce qui deviendra, quelques années plus tard, le monde imaginaire engendré par tant d’illustrations du maître pour la collection Signe de Piste. Grâce préternaturelle, beauté de la création, noblesse de l’adolescence, absence de laideur et, si j’ose dire, discret érotisme félin : toute l’œuvre du maître de Meudon pour la collection est devinée dans la prose d’un autre que lui. Je ne connais pas d’autre Signe de Piste où le sujet du texte EST le style des illustrations.
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(première partie de l’analyse de Pierre SCHNEIDER, extraite de l’Intégrale SIGNE DE PISTE Tome 4 – 1957-1962)

Guy de Larigaudie, bien oublié de nos jours, occupa une place très importante dans les mouvements de jeunesse catholiques d’avant-guerre, et au-delà…

Éclaireur dès 1923, puis routier, il rallia avec un compagnon l’Indochine (le fameux «Raid Paris-Saïgon») à bord de ‘’Jeannette », une grosse voiture un peu poussive, dans l’esprit de la Croisière Jaune, mais sans aucun moyen extérieur ; il parcourut les États-Unis, l’Océanie, rêva d’y fonder une léproserie, écuma les Jamboree sans jamais oublier de se ressourcer dans la demeure familiale, les ‘’Gérauds », au coeur du Périgord.

Écrivain, il fut découvert (lui aussi !) par Jacques Michel qui lui conseilla d’étoffer ses romans en les traitant comme des recueils de contes. Ce fut Yug (l’anagramme de Guy), et Raa la buse qui apportèrent au jeune auteur un vrai succès dès le milieu des années 30, avec des droits d’auteur pour financer ses voyages ! Et puis deux romans étonnants de fraîcheur, de poésie, gorgés d’un imaginaire enfantin déroutant de simplicité et d’efficacité, L’Îlot du grand étang et Le tigre et sa panthère.
Ce dernier ouvrage s’inspire indéniablement de Kipling (comme nombre de Signe de Piste), avec cette rencontre improbable entre un jeune éclaireur et une panthère. L’amitié, puis l’amour, qui unit ces deux êtres naturellement antagonistes, ne s’embarrasse guère de vraisemblance. Mais là n’est pas l’essentiel : Larigaudie écrit un conte dans lequel priment la poésie et l’illustration de l’esprit scout.
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Analyse de première partie de l’analyse d’Alain JAMOT, extraite de l’Intégrale SIGNE DE PISTE Tome 1 – 1937-1955

Chez moi, une version de 1945, des éditions Alsatia, se tient bien au chaud entre un roman de Dalens et un autre de Foncine. Des pages jaunies, des illustrations en noir de Joubert… Nostalgie… Je feuillette et les images reviennent : un jeune adolescent apprivoise une panthère après lui être venu en aide et plus encore, lui avoir sauvé la vie.

Un conte, je ne sais pas. Ici, l’invraisemblable est mesuré ; de toute manière, on croit à cette histoire attachante où l’amitié entre un enfant et un animal « assied » tout le roman. Il commence par une sorte de robinsonnade – le garçon perdu dans la jungle – et se termine par un épisode aussi inattendu que dramatique.

Je ne résumerai pas cette histoire, désireux de laisser l’eau à la bouche aux futurs lecteurs, mais aussi à ceux qui ont oublié ce magnifique roman. Je me contente d’égrener des impressions, longtemps après la première lecture.

Jacques et Fleur-des-Sables deviennent inséparables, contre toute attente. Pensez ! Un garçon désarmé et un félin chasseur ! La rencontre est admirablement mise en place, avec lenteur, mais sans ennuyer le lecteur d’aucune manière. L’auteur avance – et nous avec lui – par petites touches. Avec pudeur, une touche de poésie, Larigaudie nous donne à voir la naissance de cette relation improbable entre le garçon et la panthère. Il y a quelque chose de magique dans les mots, les tournures, la narration ciselée. Les rebondissements arrivent toujours au moment importun, sans affectation. Nous vivons l’aventure avec Jacques, nous avons envie de caresser Fleurs-des-Sables, de lui parler, de nous sentir bien en sa compagnie. Nous envions le héros, qui ne semble même pas enorgueilli par ce qu’il a réalisé.

Où trouver des failles, dans ce roman-là ? Je verrais peut-être – et ça n’engage que moi – un soupçon de naïveté dans certains passages mettant les scouts en scène. Il faut alors se rappeler que le roman a été écrit à une époque où le scoutisme était très florissant. Cela peut expliquer quelques élans joliment maladroits de l’écrivain, dont le style et la verve narrative sont par ailleurs irréprochables. Sans parler de l’humour dont l’auteur fait preuve ici et là, ce qui égaye utilement l’histoire.

Larigaudie a réussi : moi qui ne m’intéresse pas particulièrement aux animaux, auxquels je fiche donc une paix royale, eh bien ! je me suis régalé de suivre les traces de Jacques et de sa panthère ! L’auteur m’a fait aimer tendrement le bel animal et admirer l’audace, la générosité et le désintéressement de son jeune maître.

Il faut donner ce roman à lire aux jeunes. C’est une œuvre saine, réconfortante, malgré sa fin tragique. Elle nous emporte dans un univers très différent du nôtre, si violent, cruel et injuste. Elle nous donne à aimer, toujours aimer, sans calculs, sans arrière-pensées. N’est-ce pas essentiel, dans la collection Signe de Piste ?

Analyse de Jean-Louis Larochette-Prost – 2009