Deux Rubans Noirs

Roman Jeunesse – Collection Signe de Piste


Pierre LABAT

Parutions :

1951 – Signe de Piste n°44
(première édition)
Coureurs d’Aventures n°8
Editions DELAHAYE – 2016 – Collection SIGNE DE PISTE n°58


Résumé

La neige de Noël, le givre, le brouillard et le vent…L’avion s’est écrasé dans un ravin. Les raiders fouillent la forêt glacée, cherchant le grand oiseau foudroyé. Avec eux, Etienne, Etienne dont le père… Etienne qui a laissé mourir Rudi et n’a pas su résister à Lucien. Etienne qui fut scout il y a longtemps.
« AJAX appelle PLUTON, AJAX appelle PLU-TON. PLUTON, répondez… » Mais PLUTON ne répond plus: il y a trop de neige, de marais, de brouillard et de vent. Alors apparaît Jacques, Jacques que tous voyaient et qu’aucun ne connaissait, Jacques vainqueur d’Etienne, de la neige et du vent, Jacques, vainqueur de la Mort, avec son cœur qui bat trop vite, son corps mince et ses yeux clairs.
Avec son béret vert aux deux rubans noirs qui flottent dans le vent. Vainqueur et frère d’Etienne. Vainqueur de la Mort et des jours: car Dieu se rit des dates, du temps et de la logique des hommes…


Fiche de Lecture

Comme la plupart des écrivains Signe de Piste, Pierre Labat fut l’homme d’une seule structure narrative, ancrée probablement au plus profond de son économie fantasmatique: dans trois de ses quatre romans (Le Manteau blanc, Deux Rubans noirs, Le merveilleux royaume), on découvre un univers nouveau, excitant, flirtant avec l’élitisme et la nostalgie d’un Ordre militaro-religieux. Puis la tension monte, la réalité devient la plus forte et le héros adolescent idéaliste meurt, pour rien, victime expiatoire d’un monde adulte combinard, compromis, corrompu, et surtout, péché suprême, vieillissant…
On songe à la tradition nipponne du héros vaincu, encore vivace aujourd’hui, où la victoire comporte toujours quelque chose d’obscène… Dans cet ordre d’idée, on ne saurait que conseiller au lecteur intéressé par ce rapprochement, la lecture simultanée de la tétralogie de Pierre Labat avec celle de Yukio Mishima, La Mer de la fertilité…
Deux Rubans noirs semble presque une ouvre de commande, tant la pédagogie raider-scout se trouve expliquée, présentée et magnifiée. Michel Menu dut vraisemblablement connaître une formidable montée d’adrénaline en découvrant l’ouvrage: référence aux bénédictins, aux commandos, petits développement sur l’esprit du judo et du jiu-jitsu (alors d’un exotisme insoutenable, c’était il y a presque soixante ans !!!), mystique autour de ce l’on nomme de nos jours les Forces Spéciales, spiritualité haut-de-gamme, beauté et dévouement des patrouillards, bref propagande totale…
Avec un fils d’officier partant à la recherche de son père grâce aux Raiders, un chef de patrouille mourant d’épuisement en carburant aux amphétamines (pour rien, une fois de plus…), un jeune Allemand succombant à la tuberculose, le tout dans un Berlin cerné par ‘’l’axe du Mal’’ de l’époque, les communistes, un gigantesque fourre-tout idéologique et romanesque porté à l’incandescence et qui vraisemblablement provoqua plus d’un embrasement dans les chambres des boys d’alors…
Probablement le chef-d’oeuvre de Labat, avec toujours cette virtuosité stylistique, une citation de Maître de Santiago, un romantisme adolescent quasi-hystérique, exutoire d’une sexualité indicible… et puis, cette polysémie permanente de la symbolique utilisée, fascinante mais troublante: on peut très bien lire Deux Rubans noirs comme une prescience de l’arrivée de la pédagogie Pionniers dix ans plus tard avec son tiers-mondisme et son amour nouveau Vatican II pour le Lumpen-prolétariat, mais aussi comme le bréviaire du jeune fasciste post-Vichy et pré-colonial, rêvant d’en découdre avec le communisme international et la ploutocratie… Labat ne choisit pas, ses héros non plus, tant ne semble compter pour eux que la fièvre de l’action, quelle que soit la Cause…
Reste un roman fulgurant, romantique, assez incompréhensible pour les adolescents de 2005, loin de l’individualisme et du consumérisme omniprésents de nos jours, un roman écrit juste après la dernière grande guerre civile européenne dans laquelle le continent faillit périr, un roman totalement inactuel… et une illustration de jaquette de Joubert calamiteuse… (délai de publication trop court? Le mystère reste entier…)
L’oeuvre de Pierre Labat s’enfonce dans l’obscurité mortifère où sombrent tant de livres de jeunesse, quasiment plus rééditée, oubliée, niée, abandonnée, boutée hors des mémoires, enfermée dans des clichés dépassés… Encore une ou deux générations et plus personne ne se souviendra d’elle, dissoute dans le non-être, évanouie, n’ayant jamais existée… Est-ce ainsi que les livres meurent ?

Analyse d’Alain Jamot