Expédition de secours

Roman Jeunesse – Collection Signe de Piste


Jean-Louis DUBREUIL

Parutions :

1955 – Signe de Piste n° 80
2015 – Collection Signe de Piste n°43 – Editions Delahaye


Résumé

« Prévenez François et Yves Dumaine, Clernac, Haute-vienne, que leur sœur Marie-Odile est toujours vivante, mais prisonnière. Au secours ! Vite ! »
Qui a lancé cet appel désespéré ? D’où ? Qui est cette ‘’ sœur ‘’ surgie de nulle part ?
Telles sont les questions angoissantes que vont devoir se poser deux frères, les amenant à sonder un lourd passé familial, secret comme un banc de brume…
Et à partir pour une quête planétaire, pleine de pièges et de dangers. Avec Hugues, Marie-Odile, Bénédicte, Ananga, une rude équipe de bourlingueurs, ils vont empoigner le destin à la gorge…
De la crête des Alpes au bout du monde, l’aventure se déroule, pathétique.
Arriveront-ils à temps ?


Fiche de Lecture

L’expédition de secours pour retrouver et délivrer leur sœur Marie-Odile va mener les jeunes François et Yves Dumaine jusqu’au bout du monde. Un jour, par un concours de circonstances, François et Yves vont recevoir un message signé de Marie-Odile, sœur qu’ils pensaient morte depuis longtemps. Ce message est un appel au secours qui va décider les deux jeunes garçons à partir à sa recherche, peu importe le temps ou les difficultés inhérentes à un tel voyage.
Le roman de Dubreuil se trouve alors à cheval entre deux sujets qui le tendent vers l’un ou l’autre bout : d’un côté le roman d’aventures, de l’autre la tragédie familiale, histoire de mœurs et de pardon. Finalement, ces deux points sont à distinguer dans les deux parties qui composent le roman. La première partie s’attache au récit de la découverte du message et d’un secret familial, des premières et grandes aventures du voyage, de la Nouvelle-Orléans et ses swamps au bateau qui embarque toute l’équipe vers la Nouvelle-Calédonie. La deuxième partie se centre plus sur la question des retrouvailles familiales, du passé et du pardon avant un retour en paix en France. Les péripéties et grandes aventures sont moins fortes dans cette seconde partie.
Ainsi les deux grands axes du livre sont traités simultanément mais avec une tendance majeure dans l’une ou l’autre partie. Le dynamisme n’en est pour autant pas amoindri car les moments d’émotions supplantent assez bien les péripéties du voyage.
Il est drôle de voir l’aventure des deux jeunes Dumaine commencer par une référence à Jules Verne. Eux-mêmes peinent à croire ce qui leur arrive, ils ne sont « pas dans un Jules Verne », au temps de grands explorateurs, de voyages fantastiques, aux départs improbables. Et pourtant, ils seront acteurs de leur propre voyage fantastique. On peut croire assez aisément à l’intrigue et se plonger dans le drame familial qui se joue. Le voyage n’est pourtant pas complètement crédible : l’histoire est ancrée dans une réalité bousculée par un départ finalement facile pour l’équipe de « bourlingueurs ». Par miracle, le message de leur sœur est transmis et suivant d’autres coïncidences, ils trouvent un mécène (Hugues) et sa soeur qui partent en expédition avec eux. Pas de problèmes financiers ni de transports. On veille sur eux, rendant presque magique leur histoire. Bien sûr, ni magie, ni hasard ici, c’est la mention discrète de la Providence qui entre en jeu.
Dubreuil inscrit dans son roman comme un petit rappel des récits des grands voyages du 17e au 19e siècle, à la fois images des pays visités mais aussi prétextes aux aventures extraordinaires des personnages. Son roman n’est pas non plus naturaliste et ne cherche pas à détailler beaucoup les pays lointains que vont visiter François et Yves. L’image de l’autre, « exotique » reflète une vision de l’étranger aujourd’hui désuète, mais explique ou fait sens dans le contexte d’écriture du roman ou de déroulement de l’histoire. Il peut être intéressant de comparer cette image là avec celle que nous nous en faisons aujourd’hui où le voyage et la rencontre sont plus faciles et où l’image de l’autre a évolué.
Quant aux aventures de l’équipe de sauvetage, celles-ci semblent incroyables, appartenant à un monde imaginé. Bien qu’elles aient l’air un peu parachutées (par la Providence?), on accepte leur existence : le rendez-vous dans les swamps qui tourne mal, le bateau, les jeux de trahisons, qui font le dynamisme et le suspens du récit. Comme les héros, le lecteur est acteur de l’enquête et suit avec eux la trace de Marie-Odile et tente de déceler et comprendre les indices disséminés sur le chemin. Les rebondissements changent la piste, la réorientent… et les bourlingueurs ne sont pas en reste devant ces péripéties. Mais là fait la force de leur détermination et du chemin qu’ils parcourent car jamais ils n’abandonnent.
Les aventures de cette drôle d’équipe n’auraient pas été possibles sans le drame familial des Dumaine, lourd passé qui hante la famille. Les querelles entre deux frères, un enlèvement grave, la douleur d’avoir perdu un enfant provoquent de lourdes conséquences. Sujets graves pourtant explicites dans ce roman, mais où la violence s’atténue avec le pardon des neveux à leur oncle. L’oncle lui-même est repentant et comprend que sa vengeance n’était pas la solution à sa douleur. Pour Marie-Odile, le réel mal sera celui de la découverte de sont passé et de sa véritable identité, qu’elle a l’air d’accepter relativement vite. Le choc passé, il ne reste pour tous ces personnages que la paix et le repos, comme au retour d’un long périple.
Le voyage n’est pas seulement le voyage physique qui nécessite un déplacement, il est aussi le voyage intérieur des personnages, presque parfois comme un roman d’apprentissage. Un voyage de François et Yves à travers leur passé et la compréhension de l’adulte qu’est leur oncle et de sa souffrance. Un voyage aussi qui va les mettre à l’épreuve, les faire grandir par le danger et les relations qu’ils entretiennent avec Ananga, Hugues et Bénédicte. Un voyage pour Ananga, qui trouve une famille, pour Hugues et Bénédicte qui renforcent leurs liens fraternels et en créent de nouveaux. Un autre pour Marie-Odile, plus court, qui va lui apprendre qui elle est.
Enfin, un voyage pour Antoine Dumaine, peut-être le plus important car celui qui change le plus. L’oncle est mué par la soif de vengeance qui le pousse à être criminel. La peur ensuite, puis la repentance vont le changer au contact de ses neveux. À la fin il sera capable de s’apaiser et d’être en sérénité grâce à la force des liens familiaux.
Les liens qui lient les personnages sont en majorité de cette nature là, qu’ils soient de sang ou construits. Bénédicte est alors une sœur pour Yves et François, tandis que son frère Hugues, adulte, certes, est plus comme un mentor. Il n’est pas le père, ni un frère car l’âge peut les séparer, mais il a un rôle de bienveillant et d’autorité auprès de ces jeunes qu’il a pris sous son aile. Il est responsable de leur bonne santé mais aussi de leurs âmes dans cette aventure.
Expédition de secours possède ces deux visages qui permettent une lecture aussi bien ludique par l’aventure, l’enquête, les péripéties ; que philosophique par la réflexion qu’il peut amener sur les liens familiaux d’une part et la place de l’étranger d’autre part (dans le voyage, dans la rencontre, dans sa propre famille).

Analyse de CB – 2016