Baldur de la forêt

Roman Jeunesse – Collection Signe de Piste


Jean d’IZIEU

Parutions :

Ed. ALSATIA – 1957 – Coll. SIGNE DE PISTE Junior – n°3
(première édition)
Coll. Coureurs d’Aventures
Ed. DELAHAYE – 2014 – Coll. SIGNE DE PISTE – n°33


Résumé

Deux jeunes Francs se perdent au cours d’une partie de chasse. Surpris et capturés par des Goths, ils réussissent à s’évader. Mais l’hiver arrive d’un coup et ils sont bloqués par les neiges. Ils s’organisent pour survivre au terrible hiver de la forêt germanique et passent six mois seuls, affrontant les dangers, trouvant leur nourriture et apprivoisant même un loup… Quand ils rentreront chez eux, ils rencontreront les ennemis Romains, et un officier leur parlera du Christ et d’une religion nouvelle pour eux…
Un roman qui se passe aux premiers siècles de notre ère, à l’époque de l’Empire romain et des grandes invasions venues de l’Est. Pour les plus jeunes, une aventure passionnante longtemps attendue d’un grand auteur à redécouvrir, Jean d’Izieu.


Fiche de Lecture

Comme « Baldur de la forêt », avant sa publication dans la collection « Prince Eric » s’est d’abord appelé « Lumière sur la piste » dans la collection « Jean François » éditée par les éditions Gauthier-Languereau. Deux titres pour une même œuvre et deux éclairages distincts sur la richesse et la diversité de son contenu.
D’un coté, un jeune Franc si imprégné de sa forêt qu’elle est presque devenue pour lui un patronyme, et de l’autre, une lumière porteuse d’espoir et gage de visibilité spirituelle.
Deux jeunes garçons, deux frères, s’égarent aux cours d’une chasse dans la forêt profonde. Les voilà prisonniers d’un hiver particulièrement rigoureux, astreints à rechercher quotidiennement leur pitance et à braver pour cela tous les dangers. Jusqu’au jour où, à la faveur d’une rencontre avec la troupe des envahisseurs romains, les yeux du jeune Baldur s’ouvrent sur une réalité cachée.
Le roman raconte, ainsi, l’histoire d’une émancipation, d’un passage de l’ombre à la lumière, de la réalisation d’une promesse (Baldur signifie lumière en dialecte germanique). Elle s’intègre dans le quotidien de deux adolescents, d’abord et avant tout animés par l’instinct de survie au sein d’un environnement hostile. La prise de conscience d’une entité abstraite viendra avec le temps, après une série d’épreuves.
Car la forêt est une entité vivante au double visage : protectrice et nourricière sous un certain aspect, mais dans le même temps ténébreuse, animée par un théâtre d’ombres à partir duquel se déploie une vision animiste et païenne du monde. Un monde sous l’influence d’un bouquet de forces occultes qui aliènent les hommes au destin capricieux d’une cohorte de dieux.
L’odyssée des deux garçons n’est qu’un arrachement progressif à cet obscurantisme primitif et c’est au moyen d’allégories que l’auteur l’exprime avec le plus de force. Ainsi, Baldur et son frère Wolfram quittent la grotte où ils ont trouvé refuge pour une hutte de rondins, de branchages et tuiles en boue séchée qu’ils ont construite eux-mêmes, échappant ainsi à la promiscuité avec les bêtes sauvages. Un pas supplémentaire vers l’affranchissement d’un état de soumission, bref vers la civilisation. Ils baptisent même leur chaumière d’un nom de ville car il y a du Romulus et Remus chez ces deux là sauf qu’ici c’est la forêt qui joue le rôle de louve maternante.
Il y a d’ailleurs un loup dans l’histoire. Ou plutôt un louveteau qui symbolise l’être avec qui le lien fraternel devient possible. Il disparaît d’ailleurs au moment où une nouvelle cohabitation avec d’autres hommes s’ébauche. Baldur est, dans cette optique, le livre de la fraternité naissante. Fraternité biologique entre les deux garçons du même sang, mais plus largement aussi fraternité humaine qui n’exige aucun autre signe distinctif qu’une commune appartenance à l’humanité.
Tout l’art de Jean d’Izieu est d’enrober cet axe thématique d’une écriture fluide, sans grandiloquence ni concession à des raccourcis didactiques et démonstratifs. Chez lui nul manichéisme et pas même la propension à dispenser une leçon de catéchisme. Le roman ne se départit jamais du ton propre au récit d’aventure avec sa part de geste héroïque, de prouesses physiques et d’abnégation morale. Pour un peu on croirait les deux adolescents acteurs d’un grand jeu comme ceux que l’auteur, ancien aumônier scout, a du organiser. Le combat quotidien pour la survie nous fait apparaître les deux personnages comme des naufragés échoués sur une île déserte et inhospitalière où ils partent à la découverte d’eux-mêmes en même temps et au même rythme qu’ils explorent la nature environnante. « Baldur de la forêt » est, à sa manière, un roman scout au regard des valeurs qu’il met en exergue et qui ont porté l’Europe sur les fonds baptismaux de la chrétienté.
Le dénouement de l’histoire apparaît ainsi comme la pierre angulaire de l’édifice romanesque, accentuant dans le même temps sa portée symbolique. Les retrouvailles finales des deux garçons avec leur père ont lieu sous l’égide de cet esprit transcendant dont on perçoit énigmatiquement la présence dans une sphère proche mais invisible. La sainte trinité pointe sous la parabole. Ce faisant l’auteur nous susurre à l’oreille la même maxime que le renard enseignait au petit prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux »…

Analyse de Philippe MAUREL, extraite de l’Intégrale SIGNE DE PISTE Tome 3 – 1962-1970